PHIDIAS

PHIDIAS
PHIDIAS

Considéré par les Anciens comme leur plus grand sculpteur: celui qui sut le mieux représenter la majesté des dieux, Phidias est devenu pour les Modernes le parangon du classicisme – du moins tel qu’il a pris forme sur l’Acropole d’Athènes, entre 447 et 432 avant J.-C.: artistes et écrivains européens n’ont cessé, depuis la fin du XVIIIe siècle, de solliciter des sculptures du Parthénon, attribuées à Phidias, la définition de ce classicisme qu’ils prétendaient retrouver ou dépasser. Un quiproquo s’est ainsi institué, auquel ont contribué nombre de travaux savants eux-mêmes, du moins jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, si bien que Phidias est aujourd’hui illustre mais méconnu. Faute de pouvoir apprécier son œuvre, qui a entièrement disparu, il nous reste, pour cerner une personnalité exceptionnelle, le témoignage des textes anciens, nombreux mais la plupart tardifs.

Un maître du «style sévère»

L’identité de Phidias nous a été transmise par Pausanias (Description de la Grèce V, X, 2), qui a vu gravé sur la base de la statue de Zeus à Olympie: «C’est l’Athénien Phidias, fils de Charmidès, qui m’a fait.» Cette formulation archaïque a le mérite de souligner d’emblée un fait qu’occulte la longévité de l’artiste: Phidias est un sculpteur ancré dans la tradition archaïque. Sa première œuvre importante datant des années soixante-dix du Ve siècle, il a dû naître durant la dernière décennie du VIe siècle, avec la démocratie instituée en 508-507 par les réformes de Clisthène. Il appartient donc, comme Sophocle, à cette génération d’Athéniens qui sut faire face aux plus grands périls, durant les deux guerres médiques (490; 480-479).

De la formation de Phidias nous savons seulement qu’il fut l’élève d’un sculpteur athénien, Hègias, connu par la signature d’une grande statue en bronze dédiée sur l’Acropole, sans doute entre 490 et 480. On a supposé en outre que Phidias avait pu subir l’influence du sculpteur et peintre Euvénôr d’Éphèse, père du célèbre peintre Parrhasios, qui fut l’ami de Phidias: lui-même n’avait-il pas pratiqué la peinture dans sa jeunesse et la seule œuvre conservée d’Euvénôr, la belle statuette en marbre d’Athéna dédiée vers 480 sur l’Acropole par Angélitos, ne semble-t-elle pas préfigurer certaines des Athéna en péplos de Phidias?

L’œuvre de Phidias la plus ancienne qui soit attestée (Pausanias, IX, IV, 1) est l’Athéna Areia que les Platéens érigèrent avec leur part de butin pour commémorer leur participation à la bataille de Marathon, auprès des Athéniens, en 490: c’était à la fois un sphyrélaton , puisque son âme de bois était couverte de plaques d’or, et un acrolithe, puisque visage et extrémités étaient en marbre du Pentélique (Attique). Si elle a été vue par Pausanias au IIe siècle après J.-C., c’est qu’elle n’avait pas été détruite par les Perses lors de leur invasion de 480-479: il faut donc la dater de la décennie suivante. Ainsi, Phidias apparaît d’emblée avec la spécialité très particulière qu’il va affirmer et affiner durant toute sa carrière: c’est un créateur d’images divines (agalmatopoios ), volontiers de format colossal et composées de plusieurs matériaux.

Un peu plus récent sans doute devait être le groupe de statues en bronze vu par Pausanias (X, X, 1), à l’entrée du sanctuaire d’Apollon à Delphes. Se trouvaient là représentés Apollon, Athéna, Miltiade, vainqueur des Perses à Marathon, et dix héros mythiques athéniens: cette offrande d’Athènes commémorant elle aussi la bataille de Marathon a dû être réalisée lorsque Cimon, fils de Miltiade, était au pouvoir à Athènes, durant les années soixante. Il n’en reste rien sur place, alors qu’une base, dont Pausanias ne parle pas et qui portait primitivement un groupe de dix statues en bronze, est conservée sur le côté sud du Trésor des Athéniens, avec une dédicace indiquant qu’il s’agit d’un ex-voto commémorant la victoire de Marathon; on a même cru y déceler les traces d’une signature de Phidias. Cette irritante énigme archéologique serait-elle résolue qu’on n’en tirerait rien pour la connaissance de Phidias, puisque nous n’avons aucune description précise des statues. Il est donc absolument arbitraire de faire des deux statues de bronze repêchées à Riace (musée de Reggio de Calabre) deux rescapés miraculeux de cette œuvre de jeunesse de Phidias.

L’Athéna Promachos , colosse de bronze dressé sur l’Acropole, était également un ex-voto commémorant Marathon, aux dires de Pausanias (I, XXVIII, 2), qui précise que le miroitement de la pointe de sa lance et du cimier de son casque indiquaient aux marins doublant le cap Sounion la position de l’Acropole. Sur le rocher sacré dévasté par les Perses en 480, ce colosse de bronze de plus de 9 mètres de hauteur devait donner une image saisissante de la force d’Athènes, meurtrie mais victorieuse. L’orientation de sa grande base (5,26 m 憐 5,26 m), face à l’axe des propylées archaïques, sommairement restaurés en attendant la rénovation complète du sanctuaire d’Athéna Polias, indique une date antérieure aux grands travaux de Périclès, qui commencent en 448-447. Les fragments retrouvés de la comptabilité récapitulative, qui avait été inscrite sur une grande stèle, indiquent que sa fabrication s’est étendue sur neuf années et qu’elle a coûté au moins quatre-vingt-trois talents. Aussi bien la graphie du texte que la situation historique invitent à préférer la période 464-455, qui suit la grande victoire navale d’Athènes sur les Perses, à l’embouchure de l’Eurymédon, en 465. Si la Minerve Ingres (Athéna Médicis) du Louvre est bien, comme c’est possible mais non prouvé, une transposition réduite en marbre de la Promachos, on aurait ici pour la première fois l’occasion d’apprécier le style de Phidias. On est cependant surpris, à cette date, par la richesse du drapé et la position de la jambe fléchie, qui seraient plus vraisemblables vingt ans plus tard. La position des bras, le type de la tête, la nature des objets tenus – lance et bouclier – et la façon exacte de les tenir sont de plus toujours controversés. Il n’en reste pas moins certain que cette Athéna Promachos rompait avec le type de l’Athéna guerrière de la fin de l’archaïsme, qui montait à l’assaut en brandissant sa lance, cuirassée de l’égide, peau de la chèvre Amalthée; lui succède une Athéna en armes mais paisible, qui ne combat plus au premier rang, comme son nom l’indique, mais se borne à manifester sa force. Cette mutation iconographique, dictée par la politique dominatrice d’Athènes, est d’autant plus frappante qu’elle va à l’encontre de l’évolution de la sculpture grecque, qui s’attache alors à rendre le mouvement.

Une autre création de Phidias atteste ce changement: l’Athéna Lemnia en bronze, dédiée vers 450 sur l’Acropole par les colons athéniens en partance pour l’île de Lemnos. De toutes les Athéna de Phidias, c’était, disent Pline l’Ancien (Histoire naturelle , XXXIV, 54) et Lucien (Imagines , IV), la plus belle, notamment par le modelé des joues et du nez. Deux copies en marbre, une tête de Bologne et une Athéna acéphale de Dresde, nous offrent peut-être un écho de cette Athéna plus intime, mais qui présente l’austérité caractéristique de l’art grec préclassique, couramment appelé «style sévère».

Dans le même registre, peut-être faut-il reconnaître dans l’Apollon de Cassel une excellente copie de l’Apollon Parnopios , offrande en bronze que Pausanias (I, XXIV, 8) dit être attribuée à Phidias et avoir été érigée par les Athéniens sur l’Acropole pour remercier le dieu de les avoir délivrés des sauterelles.

Plus assurée est l’attribution à Phidias de l’original en bronze de l’Amazone Mattei, dont Lucien (Imagines , I) nous apprend qu’elle était appuyée sur sa lance: le maître athénien avait participé, avec Polyclète, Crésilas et d’autres sculpteurs, à un concours organisé entre 440 et 430 (? ) par Éphèse, cité fondée par les Amazones selon le mythe.

Les statues chryséléphantines

Ces œuvres en bronze, quelle qu’ait été leur qualité, n’auraient pas suffi à assurer la prééminence artistique de Phidias: elles participent du «style sévère» (480-450 av. J.-C.), qui voit s’établir la suprématie du bronze dans la sculpture grecque, une fois maîtrisée la fonte en creux à la cire perdue, qui permet seule des bronzes de grandeur naturelle. En fait, c’est la technique chryséléphantine, appliquée à des œuvres colossales, qui va mettre Phidias hors de pair. Il s’agit d’un assemblage de feuilles d’or et de pièces d’ivoire fixées sur une surface modelée, elle-même étayée par une charpente de bois intérieure – travail d’équipe très délicat, qui participe de l’ébénisterie et de l’orfèvrerie autant que de la sculpture proprement dite, et demande des investissements considérables, puisque les matériaux précieux – bois imputrescibles, ivoire pour les chairs et or pour le reste – doivent être importés. De telles commandes sont donc très exceptionnelles. La chance historique de Phidias est d’avoir été actif durant la période de prospérité qu’a connue la Grèce entre les guerres avec la Perse (490-479) et la guerre du Péloponnèse (431-404), qui allait affaiblir irrémédiablement les cités.

Des deux statues chryséléphantines colossales qu’il réalisa, seule celle d’Athéna Parthénos est sûrement datée. C’est pour abriter et mettre en valeur ce prodigieux ex-voto que le Parthénon fut construit, entre 447 et 438 avant J.-C., ce qui explique nombre de ses particularités architecturales. Il ne s’agit donc pas d’un temple, mais bien d’un gigantesque trésor, au sens grec d’édifice votif, mais aussi, au sens moderne, d’une réserve pour les fonds publics. La pièce arrière, qui a donné son nom au bâtiment, avait cette destination, et la statue de Phidias elle-même constituait, aux dires de Périclès, une ultime ressource: en cas de crise financière, on pourrait en détacher les feuilles d’or, quitte à les remplacer plus tard.

D’un type voisin de celui de la Promachos, la statue d’Athéna Parthénos, haute de 11,50 m sans son socle, incarne l’hégémonie qu’Athènes impose alors à ses alliés: la lance, le bouclier, le casque, la Victoire portée sur la main droite rappellent sa vocation guerrière, que semble démentir la sérénité de son attitude, dont le statisme, souligné par les plis verticaux et profonds du péplos, est peut-être commandé par des impératifs techniques. La profusion et la virtuosité des décors secondaires – sur le casque, où réapparaît le bestiaire fantastique du VIIe siècle: sphinx, pégases, griffons; sur le bouclier, où étaient représentées, à l’extérieur l’amazonomachie athénienne et à l’intérieur la gigantomachie; et jusque sur la tranche des semelles, où était figurée une centauromachie; la richesse des bijoux – boucles d’oreilles, collier et bracelets – et des accessoires – égide ornée de têtes de serpent et frappée d’une tête de Méduse en ivoire; ceinture aux extrémités en tête de serpent; Victoire haute de près de 2 mètres tenant une couronne; grand serpent lové contre le bouclier –, tout concourt à faire de cette statue une pièce montée hyperbolique, où l’on a quelque peine à déceler cet esprit classique dont Phidias passe traditionnellement pour avoir été l’initiateur. Sans doute la valeur idéologique très forte de l’œuvre explique-t-elle en partie cette inflation, que la qualité de l’exécution et de l’environnement architectural devait atténuer.

L’ampleur, la diversité et la minutie des travaux exigés par la réalisation de l’Athéna Parthénos rendent peu probable la participation directe de Phidias au décor sculpté du Parthénon, qu’on a pris l’habitude de lui attribuer, bien qu’aucun texte antique ne la suggère et qu’il n’ait pas pratiqué le marbre, sauf une exception insuffisamment attestée. Dans la mesure où Plutarque, dans un texte célèbre (Vie de Périclès , XII), dit que Phidias était l’«inspecteur général» des travaux de l’Acropole, on peut penser qu’il a pu déterminer les sujets et surveiller l’élaboration des cartons, mais leur style est assez différent de celui d’un maître du «style sévère» pour qu’il soit préférable de les attribuer à ses jeunes assistants.

Seule la volonté politique de Périclès avait permis l’exécution d’un projet aussi ambitieux que celui de l’Athéna Parthénos, dont on sait qu’il coûta entre sept cents et neuf cents talents, bâtiment non compris – de quoi armer une flotte de plus de deux cents trières! Aussi Phidias, ami personnel de Périclès, se trouva-t-il entraîné dans la lutte sans merci des partis athéniens: accusé, à tort ou à raison, d’avoir détourné une partie de l’or destiné à la statue, il fut arrêté. Mourut-il empoisonné en prison ou s’évada-t-il? Les textes sont contradictoires sur ce point, essentiel puisqu’en dépendent la date et donc la position dans sa carrière de la statue de Zeus olympien , considérée par les Anciens comme son chef-d’œuvre. La fouille de l’atelier où Phidias est censé l’avoir élaborée, à Olympie, n’a malheureusement pas résolu le problème, comme on l’a cru d’abord: les données stratigraphiques sont incertaines et les nombreux fragments de moule de pièces drapées retrouvés là s’avèrent appartenir aux parties en verre d’une statue féminine de plus petites dimensions et d’un style plus récent que le Zeus de Phidias. Dans ces conditions, l’antériorité de celui-ci, fondée sur un faisceau de vraisemblances, semble plus probable.

Alors que l’Athéna Parthénos nous est connue par un assez grand nombre de répliques et de citations sur des supports divers, dues aux ateliers athéniens qui ont exploité le répertoire local jusqu’au IIIe siècle après J.-C., aucune copie en marbre de la statue de culte de Zeus n’est connue: c’est qu’il n’y avait pas à Olympie, région dépourvue de marbre, d’ateliers de copistes monnayant les grandes œuvres du sanctuaire. On en est donc réduit à la description de Pausanias, heureusement très minutieuse (V, XI, 1-11), et au témoignage de quelques monnaies frappées sous Hadrien, qui reproduisent la statue. Assis sur un trône d’ébène, incrusté de pierres diverses, d’ivoire et d’or, et décoré d’une profusion de figures mythologiques, en partie peintes par le frère de Phidias, Panainos, le dieu tenait dans sa main gauche le sceptre surmonté d’un aigle et sur sa main droite, comme le Parthénos, une Victoire. Il occupait tout l’espace intérieur du temple, en sorte que les esprits forts se demandaient ce qui adviendrait si le dieu voulait se lever. Sa majesté souveraine a été souvent comparée par les Anciens, qui rangèrent ce colosse parmi les sept merveilles du monde, à celle du Zeus d’Homère, dont il était l’équivalent plastique. Œuvre inspirée alliant les techniques les plus complexes, le Zeus olympien de Phidias devait être l’expression de la religiosité grecque à son apogée, peu avant le milieu du Ve siècle.

Sa disparition presque absolue empêchera toujours d’apprécier justement l’œuvre de Phidias: trop singulière pour avoir fait école, comme celle de Polyclète, de Praxitèle ou de Lysippe, celle-ci a pour nous l’attrait irritant d’une énigme, dont les sculptures du Parthénon et la notion confuse de classicisme ne fournissent pas le mot.

Phidias
(v. 490 - 431 av. J.-C.) architecte et sculpteur grec. Il avait dirigé les travaux entrepris par Périclès à Athènes. OEuvres les plus célèbres: le Zeus d'Olympie, les sculptures du Parthénon, en partic. les frises représentant les combats des Centaures et des Lapithes, la frise intérieure des Panathénées, la statue d' Athéna Parthénos.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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